Le constat purement économique
L’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’Alimentation, de l’Environnement et du Travail (ANSES) a produit en 2014 une première « Étude du coût socio-économique des polluants de l’air intérieur ». Selon la méthode développée dans cette étude, le coût pour la collectivité serait de l’ordre de 19 milliards d’Euros pour une année, soit une dépense engendrée d’environ 1% du PIB de la France. Il est à souligner que cette étude ne prend en compte que deux polluants chimiques de l’air intérieur au regard des 11 polluants d’intérêt ayant fait l’objet d’une expertise sur les Valeurs Guides de l’Air Intérieur (VGAI). Pour mémoire, les VGAI « ont été définies comme des concentrations dans l’air d’une substance chimique en dessous desquelles aucun effet sanitaire ou aucune nuisance ayant un retentissement sur la santé n’est attendu pour la population en générale ».
Par ailleurs, l’impact
socio-économique des allergies respiratoires n’a pas été intégré dans cette
première étude.
Il est fort probable que les
prochaines approches socio-économiques, lorsqu’elles intègreront les coûts pour
la collectivité liés aux allergies respiratoires, se situeront bien au-dessus
de 1% du PIB de la France.
Le contexte scientifique en France
L’état des lieux réalisé entre 2003 et 2005 par l’Observatoire de la Qualité de l’Air Intérieur (OQAI) sur les logements français laissait comprendre que pour le seul formaldéhyde, 80% d’entre eux présentaient une concentration supérieure à la VGAI pour une exposition à long terme définie en 2007 par l’Agence Française de Sécurité Sanitaire de l’Environnement et du Travail (AFFSET, devenue ANSES).
En regard de cet état des lieux, considérons qu’en France depuis les années 1970, la proportion de personnes allergiques est passée de 5% à plus de 25 % aujourd’hui. La progression de cette maladie chronique poursuit son cours, majoritairement sous la forme d’allergies respiratoires.
Toutes les études montrent que les facteurs environnementaux jouent un rôle primordial dans les allergies et il existe de nombreuses publications sur le lien entre allergies respiratoires et aldéhydes (De Blay, 2002 http://www.primequal.fr/fr/exposition-aux-aldehydes-dans-lair-role-dans-lasthme ; Pons, 2013 http://www.primequal.fr/fr/developpement-dun-modele-cellulaire-predictif-du-role-des-polluants-du-milieu-interieur-dans-la …).
A l’issue de ces quelques constats il paraît difficile de ne pas considérer que les espaces intérieurs où nous séjournons, et en particuliers les logements, dans lesquels nous passons 60% de notre temps en moyenne, ne sont plus seulement des « machines à habiter », mais également des « machines à sensibiliser ».
Et assez performantes avec cela, puisqu’observées sous cet angle, elles ont produit depuis 1970 environ 15 millions d’allergies respiratoires supplémentaires. Soit près de 300 000 par an, si l’on fait l’hypothèse très simplifiée d’un taux de « production » constant sur ces 49 dernières années.
L’approche actuelle
Pour faire face à cet afflux de malades, la spécialité médicale universitaire d’allergologie a été récemment créée par arrêté du 26 décembre 2016.
Mais rien ne laisse espérer une amélioration. Au rythme où nous « avançons », l’OMS prédit que 50 % de la population sera allergique en 2050.
Il semble étonnant que la société ne sache pas faire face efficacement à ce problème, alors que de nombreux jalons scientifiques ont été posés en France. Acquis scientifiques par ailleurs repris par le Haut Conseil de la Santé publique (HCSP) pour « fournir aux pouvoirs publics l’expertise nécessaire à la conception et à l’évaluation des politiques et stratégies de prévention et de sécurité sanitaire » (https://www.hcsp.fr/Explore.cgi/avisrapports?Annee=&Langue=&Type=&MC1=&MC2=772&filtrer=filtrer).
Le seul constat qui peut être fait est que les praticiens du corps médical sont surtout concentrés sur le traitement des symptômes de ces maladies chroniques. Symptômes déclenchés par des allergènes, substances inoffensives pour des individus non allergiques (pollens, acariens, poils de chats, de chien….). Symptômes qui tendent à rendre les individus affectés inadaptés à leur environnement quotidien. Selon l’intensité de la maladie, ces patients sont projetés en situation d’insécurité dès lors que les concentrations en allergènes dans leur environnement immédiat ne peuvent plus être maîtrisées.
Si ce déni persiste concernant la prise en compte pragmatique de la composition chimique de l’air intérieur et de ses effets sur la réponse immunitaire, nous (maître d’ouvrages, concepteurs,
entreprises…) devrons répondre à des demandes de plus en plus pressantes (proportionnellement au mal-être et au nombre croissant de patients) et combien légitimes pour éradiquer des environnements intérieurs (et éventuellement extérieurs ?) toutes ces substances initialement inoffensives. Cette tendance est déjà largement perceptible, la surveillance des pollens par exemple mobilisant beaucoup plus l’attention que celle des aldéhydes.
C’est un peu comme si, en termes de réchauffement climatique, nous nous concentrions uniquement sur les mesures à prendre pour faire face aux conséquences de l’augmentation des températures, sans chercher à agir sur les causes… C’est une position politiquement envisageable, l’histoire de l’accord de Paris sur le climat en juin 2017 nous en a apporté un exemple,…mais combien ridicule du point de vue scientifique.
Que faudrait-il faire ?
La France serait en mesure de jouer au niveau européen un rôle moteur sur cette question. Cependant, même si tout semble aujourd’hui rassemblé pour progresser, des freins majeurs subsistent, et il est même probable que faute d’une vision globale des enjeux dans une perspective de développement durable nous nous laissions emporter par cette catastrophe sanitaire qui a pris naissance dans les années 70.
Les architectes français devraient prendre conscience d’une part de l’avance que possède notre pays dans l’appropriation du sujet et d’autre part que la façon dont ils choisiront de se positionner sur cette question de santé environnementale peut oeuvrer pour une issue favorable au sens de l’intérêt public.
Un changement radical de la stratégie nationale de santé concernant les maladies chroniques (aujourd’hui stratégie exclusivement curative) devrait permettre à notre profession de trouver sa place au coeur d’un dispositif rigoureux de prévention.
Dans ce nouveau contexte, les architectes pourraient devenir des interlocuteurs privilégiés pour accompagner le changement et participer ainsi à l’écriture de l’histoire de l’hygiène et de la salubrité publiques en France au 21e siècle.
Caroline Maréchal